L’assurance pertes d’exploitation souscrite par les commerçants s’applique-t-elle en période de crise sanitaire ?

Assurance pertes d'exploitation

Ecrit par Gilles Nougaret

Avocat Associé du Cabinet MANCIER-LHEURE NOUGARET - Docteur en droit public
18 Jan, 2021

Dès le mois de mars 2020, bon nombre de commerçants ayant subi d’importantes pertes d’exploitation du fait de la fermeture de leurs locaux lors de la crise sanitaire se sont tournés vers leur assureur, afin de demander la prise en charge desdites pertes.
Comme on peut l’imaginer, ces doléances ont été fraîchement accueillies par les assureurs, ce qui a conduit certains assurés à saisir le juge de ce litige.

Nous proposons ci-après un bref état des lieux de ce contentieux en quatre questions.

Dans quel cas le commerçant peut-il envisager un recours ?

Avant toute chose, il faut bien étudier le contrat d’assurance. En effet, dans certains cas, la prise en charge des pertes d’exploitation dues à une crise sanitaire est manifestement exclue. Ici, les choses sont claires : les chances de succès sont a priori très faibles. A l’inverse, dans d’autres cas, le contrat couvre vraisemblablement les pertes d’exploitation. Là, les chances de succès paraissent sérieuses.

Reste un cas intermédiaire : la rédaction du contrat est ambiguë. Dans ce cas, les chances de succès existent, mais l’aléa reste important, dans l’attente que la jurisprudence ne se précise (cf. ci-après).

Si l’on pense que le contrat couvre les pertes d’exploitation, il faut, dans un premier temps, solliciter l’assureur à l’amiable car quelques compagnies, constatant que leur police s’applique vraisemblablement, semblent relativement disposées à accepter une prise en charge. En cas d’échec des démarches amiables, il reste à envisager une action judiciaire.

 

Que dit la jurisprudence en matière de prise charge des pertes d’exploitation pour cause de crise sanitaire ?

A notre connaissance, seules des décisions de première instance ont été rendues, soit par le juge du fond, soit par le juge des référés (et dans tous les cas par des tribunaux de commerce).

L’étude de la littérature disponible sur le sujet montre que ces tribunaux de commerce sont partagés : certains jugent que la garantie pertes d’exploitation s’applique, et font droit aux demandes des assurés ; d’autres estiment que le contrat ne couvre pas les pertes d’exploitation, et font droit aux demandes des assureurs.

Signe supplémentaire de l’absence de jurisprudence claire pour l’instant, des contrats rigoureusement identiques d’une même compagnie d’assurance ont été interprétés différemment par les tribunaux de commerce.

Ainsi, dans une ordonnance datée du 22 mai 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a condamné l’assureur d’un restaurant à verser à ce dernier une provision de 45 000 € et a désigné un expert judiciaire chargé d’évaluer précisément le montant de la perte d’exploitation (T. com. Paris, ordonnance du 12 mai 2020, n°2020017022, Maison Rostang c/ Axa France Iard).

A l’inverse, dans un jugement rendu au fond daté du 18 août 2020, le tribunal de commerce de Toulouse a débouté un restaurateur de ses demandes en estimant que la clause d’exclusion de garantie s’appliquait (T. com., Toulouse, 18 août 2020, n°2020J00294, Sarl Sarran c/ Axa France Iard).

L’incertitude quant à l’application de la garantie de cet assureur perdure. Ainsi, le 15 octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a rendu cinq jugements favorables à l’assuré (notamment T. com. Paris, 17 septembre 2020, n°2020022816), tandis que le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre considérait que la clause d’exclusion de garantie était valable (T. com, de Nanterre, ordonnance du 1er octobre 2020, n°2020R00711).

Précisons que toutes ces décisions, qu’elles soient favorables ou défavorables à l’assuré, et qu’elles soient rendues au fond ou en référé, doivent être appréciées avec prudence, puisqu’elles ont quasiment toutes été frappées d’un appel. Ces décisions restent donc provisoires dans l’attente que les cours d’appel puis la Cour de cassation ne se prononcent. A ce jour, il est donc trop tôt pour dégager des principes jurisprudentiels clairs en la matière.

 

Ces recours ne sont-ils pas voués à l’échec pour le commerçant ?

Comme vu précédemment, tout dépend de la rédaction des contrats et de la façon dont les cours d’appel les interprèteront, notamment ceux dont la rédaction est ambiguë. Ceci étant, deux signes encourageants pour les assurés peuvent être relevés.

En premier lieu, la question de la prise en charge des pertes d’exploitation a été jugée suffisamment sensible pour que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) diligente une enquête afin de vérifier si les assureurs concernés avaient suffisamment provisionné ce risque. L’enquête, menée auprès d’une vingtaine d’assureurs et portant sur 220 contrats, et dont les résultats ont été rendus publiques le 23 juin 2020, apportent d’intéressantes informations.

Ainsi, selon l’ACPR :
– 93% des assurés ne pourraient pas bénéficier de la garantie pertes d’exploitation ;
– 3% des assurés pourraient au contraire en bénéficier ;
– 4% des assurés resteraient dans une situation incertaine car la rédaction de leur contrat ne permettrait pas de conclure de manière certaine à l’application de la garantie.
Précisons que cette estimation ne reflète que l’avis de l’ACPR et que les prochaines décisions des cours d’appel pourraient parfaitement aboutir à répartition différente. Mais surtout, cette enquête confirme que lorsque le contrat semble couvrir les pertes d’exploitation, les chances de succès paraissent sérieuses, puisque le régulateur lui-même invite les assureurs concernés à passer des provisions supplémentaires…

En second lieu, les pratiques de certaines compagnies dissimulent mal leur embarras. Ainsi, des assureurs adressent à leurs assurés un avenant à leur contrat initial excluant désormais explicitement la prise en charge des pertes d’exploitation dues à une épidémie. Le courrier accompagnant cet avenant indique en outre qu’à défaut de souscription dudit avenant, l’ancien contrat sera purement et simplement résilié… Quoi que l’on pense de tels procédés (a priori parfaitement légaux), ils ont au moins le mérite de confirmer que le refus de garantie est plus que contestable, puisque, justement, l’assureur juge nécessaire « d’inviter » son assuré à accepter un avenant, sous peine de résiliation… En d’autres termes, le juge ne verra-t-il pas, dans ces singulières pratiques, un aveu par l’assureur de l’application de sa garantie pertes d’exploitation ?

 

Que faire à l’avenir ?

Les pays occidentaux en général, et la France en particulier, ne semblant toujours pas disposés à s’inspirer de la stratégie des pays asiatiques démocratiques (Corée du Sud et Taïwan notamment) ayant géré l’épidémie avec succès et SANS CONFINEMENT, l’hypothèse de confinements à répétition ne doit malheureusement pas être exclue.

Il convient donc de suivre avec intérêt le sort d’une proposition de loi adoptée au Sénat en première lecture le 2 juin 2020 et visant à instituer une garantie catastrophe sanitaire, sur le modèle de la garantie catastrophe naturelle.

Si vous souhaitez des conseils concernant l’assurance pertes d’exploitation, nous vous conseillons de vous rapproché d’un avocat spécialisé en la matière.

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